François Charlet

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Wikileaks, Amazon, Paypal et la censure

05/12/2010 3 Min. lecture Opinions François Charlet

Depuis le weekend dernier, Wikileaks provoque l’ire des gouvernements du monde, en particulier celle de la Maison Blanche, à cause de la diffusion de dizaines de milliers de télégrammes diplomatiques impliquant en particulier les Etats-Unis, mais aussi les ambassades et gouvernements de nombres d’autres pays. Suite à cela, Wikileaks a subi, outre de virulentes critiques, d’importantes et massives attaques par déni de service.

Avant l’affaire du Cablegate, Wikileaks était hébergé sur des serveurs suédois, mais aussi sur ceux d’Amazon aux Etats-Unis (ils avaient migré pour tenter de se mettre à l’abri des attaques informatiques). Le 1er décembre, Amazon a décidé de supprimer l’hébergement, affirmant le faire sans aucune pression politique (ndr : un site du gouvernement américain est hébergé chez Amazon). S’il n’est pas impossible que des raisons techniques soient à la base de cette action (c’est ce qui a apparemment poussé un prestataire de service DNS à annuler le nom de domaine de Wikileaks), il est très difficile de croire que cet argument soit le seul. Wikileaks s’est par ailleurs moqué d’Amazon sur Twitter en disant que si Amazon a des problèmes avec le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis (ndr : la liberté d’expression), cette société devrait arrêter de vendre des livres.

Amazon a par exemple invoqué des violations de ses conditions d’utilisation, notamment le fait qu’il faut détenir la propriété des informations qu’on stocke chez Amazon, et en avoir la maîtrise, ainsi que garantir que ça ne porte aucun préjudice à qui que ce soit. Si on peut aisément concevoir que Wikileaks viole effectivement ces clauses, on ne peut s’empêcher d’y voir un acte de censure. En effet, aux Etats-Unis comme dans la majorité des pays européens, une action n’est pas illégale tant qu’un juge ne s’est pas prononcé à son sujet : elle ne peut être que supposée illégale. (On a aussi vu le gouvernement américain “déconseiller” – pour ne pas parler d’interdiction – aux étudiants des universités de consulter ces câbles.) C’est justement ce qu’a fait OVH, l’hébergeur français de Wikileaks, en demandant à un juge de se prononcer, après que des pressions politiques sont intervenues.

Les conditions d’utilisation d’Amazon lui permettent par exemple de mettre fin à des contrats d’hébergements sur de simples soupçons d’illégalité et de manière totalement discrétionnaire. Amazon a donc appliqué à la lettre ses conditions pour expulser Wikileaks, mais peuvent-ils faire de même dans d’autres situations ? Assurément. Et c’est donner bien trop de pouvoir à Amazon que de lui permettre cela à sa seule discrétion. On se souvient par exemple de l’affaire où Amazon avait effacé (à distance !) du Kindle de ses utilisateurs des exemplaires de livres achetés en toute légalité.

Dans la foulée d’Amazon, Paypal a annoncé avoir suspendu le compte de Wikileaks, sous le motif que le service Paypal ne peut être utilisé à des fins qui encouragent, promeuvent, facilitent ou apprennent à des tiers à commettre des actes illégaux. En dehors du fait que Paypal est donc la deuxième grande firme privée à fermer ses portes à Wikileaks (et, ici, à contribuer à diminuer les donations des internautes), ses motifs sont tout aussi discutables et il est facile d’y voir une tentative indirecte de censure, ou de supposer une pression gouvernementale.

L’affaire du Cablegate, hormis ses conséquences politiques et diplomatiques, met en exergue une situation inquiétante quant aux puissantes sociétés du monde technologiques. Ne leur donnons-nous pas trop de pouvoirs et de droits, au détriment des nôtres ?